La pédagogie Decrolyenne s’articule autour l’intérêt de l’enfant. Il s’agit de s’appuyer sur les préoccupations des élèves pour créer un lien entre toutes les matières abordées. Afin d’organiser les enseignements, Ovide Decroly s’appuie sur l’idée que les besoins de l’enfant sont reliés à ceux de l’humanité. Ainsi, quatre besoins sont à la base des centres d’intérêts: se protéger des intempéries, se défendre, se nourrir, agir et travailler.
C’est à partir de ce dernier centre d’intérêt que les élèves de primaire ont élaboré leur plan de travail de l’année; Le travail en tant qu’activité de l’homme, mais également en tant que force, en tant que mouvement.
En CP
La place centrale de l’apprentissage de la lecture ainsi que l’âge des enfants limite le temps accordé au centre d’intérêt pour les CP. Néanmoins, dès le début de l’année, j’ai appris à la classe qu’une partie de cette année nous travaillerions sur “le travail”.
Depuis, au cours de différents conseils, nous avons cherché collectivement à répondre à différentes questions : qui travaille ? Quel est le travail de… ? La classe a répondu que les enfants, les adultes, la terre, l’eau, les plantes et les animaux travaillaient. Et, pour l’instant, c’est la discussion sur le travail de l’eau qui a suscité le plus des réactions, d’intérêt et d’idées. En le reliant au travail de la terre, des animaux, des plantes et à l’action de l’homme, s’est entamée une discussion passionnée sur ce qui, par la force des choses, devient une préoccupation actuelle : l’écologie. Sans utiliser ce mot, les enfants ont évoqué la pollution des hommes et les répercussions sur les animaux, les plantes, la terre et l’eau.
Voici quelques extraits du genre de discussions que nous avons pu avoir :
« D’où vient l’eau du robinet ? »
« Si on laisse couler trop de robinet, à la fin, y a plus d’eau. »
« Mais non, c’est la poste qui fait l’eau y en a toujours. »
« Et elle va où après ? »
« Elle va dans des tuyaux. »
« Elle va dans des usines qui la nettoient, c’est comme des grandes piscines avec des produits chimiques. »
« Ça s’appelle des stations d’épuration. »
« Mais si on met des produits chimiques, elle est pas propre alors ? ! »
« C’est des stations spatiales… »
« Le travail de l’eau, c’est aussi de ne pas nous blesser. »
« Pourquoi ? »
« Parce que quand on va à la mer, les bouts de verre, la mer, elle les rend lisses. »
À partir de ces réflexions, nous allons tracer des pistes de recherche et de questionnement auxquelles nous chercherons des réponses.
Je pense aussi, éventuellement, relier les objets amenés lors des causeries à ces réflexions. Les enfants chercheront à savoir au travail de qui on peut relier chaque objet.
Notre séjour au Viel Audon (éco-ferme autogérée en Ardèche) va lui aussi prendre une orientation sur ces questionnements.
J’envisage, entre autres, là-bas, d’appréhender à travers l’exemple de cette ferme autogérée les interdépendances entre le travail de l’homme et ceux des animaux, de la terre, des plantes et de l’eau. Selon notre vécu sur place, les activités que nous y mènerons et les observations que nous ferons seront orientées (ou vues) à travers ce filtre du travail. Nous suivrons entre autres, au quotidien, les professions et les rôles des principaux acteurs du site (faire du pain dans une boulangerie, installer des clôtures, assister à une mise à bas, à une traite, à la fabrication de fromages de chèvre, à la récolte et à l’achat de nourritures associées à la préparation d’un repas, assister aux tâches du bureau, de la boutique, à la rénovation du site, suivre les soins donnés aux animaux…).
Voilà, donc ce qui se dessine pour la classe de CP et qui prendra forme avec une l’ampleur relative, comme je l’évoquais précédemment.
Du côté des CE1
Je suis pour ma part étonnée de la façon dont cet intérêt est naturellement associé par les enfants au travail de l’homme, des animaux, des végétaux et des minéraux, sans que ceci leur ait été proposé.
Les enfants ont échangé leurs idées, nous les avons classées et il s’est avéré deux choses. La première est qu’il n’était pas si difficile pour moi de raccrocher leurs différentes remarques et observations aux compétences proposées par les programmes. La seconde est que ce centre d’intérêt commun à tout le primaire n’empêche en rien un centre d’intérêt particulier proposé par la classe. Au contraire, l’un vient tout naturellement nourrir l’autre par le biais de nombreuses associations.
Cette année, la classe de CE1 s’intéresse à la préhistoire et à l’archéologie.
Lorsque j’ai informé les enfants de notre centre d’intérêt, ils ont bien sûr évoqué les métiers ou les outils, mais, très vite, la conversation les a conduits à parler du travail de nos muscles lorsqu’on fait du sport, des plantes qui nous soignent, des animaux qui nous nourrissent et nous habillent… Nous avons classé nos remarques dans un tableau qui évolue au fil de nos “brainstormings”. Nous examinons ce que nous pouvons observer et expérimenter au quotidien.
Les associations avec le centre d’intérêt particulier sont rapides et en lien direct avec le centre d’intérêt collectif : quels étaient les outils des hommes préhistoriques ?
Travaillaient-ils ? Quelles étaient leurs tâches quotidiennes ?
Viendra le moment où la domestication des bêtes nous conduira à parler du travail des animaux. Bien entendu, tout n’est pas rattaché à cet intérêt particulier. Le centre d’intérêt nourrit la classe de diverses manières : le travail des muscles nous permet d’appréhender les mesures de masses et de longueurs, les métiers sont l’occasion d’observer la langue française… Nous réfléchissons sur notre travail d’élève.
Il est en tout cas immédiatement perceptible que le centre d’intérêt envisagé du point de vue de l’enfant va bien au-delà de ce que je pouvais imaginer. Il s’agit bien d’un besoin essentiel au travers duquel l’enfant peut lire le monde qui l’entoure.
Emmanuelle