L’école Decroly accueille entre ses murs, et non sans plaisir, Suzie Delhay depuis la rentrée 2014. Suzie est musicienne intervenante. Tout en se préparant au DUMI (Diplôme Universitaire de Musiciens intervenants) elle passe chaque semaine rendre visite aux enfants autour d’un projet musical annuel. La Commission communication a souhaité vous faire partager son travail à travers trois interviews différentes. On vous propose ainsi de découvrir les témoignages de Suzie, Eugénia et Simon, principaux acteurs du projet musique 2015-2016 aux côtés de nos petites têtes blondes… Des propos reccueillis par Morgane, stagiaire de la commission communication en mai et juin 2016.
SUZIE
Peux-tu nous dire ce que tu fais à Decroly ?
Suzie – Ma présence à Decroly est une candidature spontanée faite au sein de ma formation au centre de musicien intervenants : le CFMI d’Orsay. Nous sommes formés une journée par semaine avec des cours relativement théoriques et pratiques. Mais, la meilleure façon de former les enseignants, c’est de les mettre sur le terrain. Donc avec à peine deux semaines de fac dans le dos on arrive face à notre public, face à la réalité.
Et pourquoi venir à Decroly en particulier ?
Suzie – Il fallait trouver une école qui puisse héberger mon stage. J’étais particulièrement intéressée par la dynamique decrolienne, me demandant aussi comment cela pouvait se retranscrire en musique. Je suis allée rencontrer Françoise, faire ma candidature spontanée, qui m’a dit légitimement « Très bien, très bonne idée mais je ne peux pas imposer ça à mes instits ». Puisqu’il y a pas mal d’enjeux autour du partenariat entre le musicien intervenant et l’enseignant, ça ne pouvait pas être catapulté par le haut. Ce qui est en plus cohérent par rapport à ce que Decroly entretient.
Quels enseignants ont participés au projet ?
Suzie – Je suis allée à la réunion des profs en fin d’année. J’ai présenté mon métier et j’ai eu deux instits qui se sont prononcés de façon très motivée pour qu’on commence les cours. On a commencé l’année dernière avec Anne et Simon ; cette année avec Simon et Eugenia.
Pourquoi faire de la musique, selon toi ?
Suzie – Mon métier est vraiment un très beau métier. Qui me plaît beaucoup. Pour la petite histoire : je suis architecte. J’ai fait des études d’archi et le métier d’archi pendant dix ans, et puis, j’ai eu une gamine. Je me suis dis « Si je devais transmettre quelque chose à ma fille, est-ce que ce serait vraiment l’architecture ? ». Il se trouve qu‘enfant, adolescente et jeune adulte j’étais musicienne. J’ai appris le piano au conservatoire de Lille et une fois le cursus de piano terminé, j’ai appris les pratiques traditionnelles au travers de la percussion. Le chant aussi. Et voilà, immédiatement, instinctivement, c’est ce que j’ai eu envie de transmettre à ma fille. Je me suis dis : finalement, si c’est ça l’essence, si je devais résumer ma vie en disant « Je dois m’en aller, tiens ! Débrouilles toi avec ça. », ce serait la musique., beaucoup plus que de dessiner ou de comprendre la ville – même si ça m’anime aussi.
Et d’où t’es venue l’idée d’être dumiste ?
Suzie – J’ai écouté ce message là, couplé à la rencontre du musicien intervenant de la crèche de ma fille. Je me suis dit que c’était un métier fantastique. Lui, quand il arrive, il est hyper bien accueilli, les enfants sont hyper contents. Le matin, pour motiver ma fille à aller à la crèche, je lui dis « Il y a Paul ! » et elle y va… Après, la réalité du métier, c’est une certaine précarité, une certaine difficulté, etc. Mais il y a cette énergie qui passe au travers de l’art que je trouve magique.
Sur quoi te bases-tu pour construire les séances ?
Suzie – C’est un substrat qui vient des enfants. Pour les CM1 on a complètement travaillé dans le thème pédagogique de l’année qui est « Le Travail ». Que ce soit dans le répertoire, le thème des chansons ou dans l’aspect littéral du « les enfants quand ils travaillent, ils sont avec des feuilles », donc on va faire un spectacle où il y aura des feuilles. On combine. Comment on utilisera ces feuilles dans le spectacle, vous verrez ce qui va se passer. Ce sont des rebonds pendant les séances, qui se construisent ou non. Parce qu’il y a des fois où on propose un matériau et il n’y en a pas, de rebonds. Ça fait flop. Pour des raisons de journée, d’heure, d’énergie de la classe, il y a des fois où on arrive avec très peu de matériau. Donc il y a beaucoup de propositions qui sont faites, il faut ensuite tirer le fil durant les séances qui suivent.
Tu travailles aussi au feeling, en fait ?
Suzie – C’est la magie des enfants. On ne sait jamais comment ils vont s’en emparer. Si on est astucieux, on arrive avec plusieurs billes. Idéalement, il faut avoir du choix parce qu’on ne peut pas forcer. A cette âge là, on ne peut pas dire « Si si, c’est ce qu’on avait prévu. ». Notamment pour les CE1, ce sont vraiment eux qui guident les séances. On arrive avec le minimum vital, puis ils font le chemin.
Un souvenir de séance passée avec les enfants à nous faire partager ?
Suzie – Je pense notamment au CE1 qui ont fait une super séance. J’étais arrivée avec l’œuvre de Ravel, Ondine, qui a le propre d’avoir une mélodie sur la main droite et un son très entretenu sur la main gauche. J’étais arrivée avec des bouchons de bouteilles pour traduire le son de la main gauche, que ce soit entretenu, et des lames sonores pour traduire la musique. Je leur joue Ondine, ils arrivent à extraire que, effectivement, il y a des sons très différents, que ce sont deux matériaux sonores très différents. Et je leur dis « Maintenant, vous remplacez mes mains ». Donc je vais faire la main gauche et puis je vais avoir les lames sonores qui font la mélodie, ou inversement, ils vont faire les bouchons. Et ça les a complètement fasciné, cette idée de pouvoir se dire « Mais en fait, on a fait Ondine avec des lames et des bouchons. ». Ils étaient complètement animés par cette chose là. On l’a fait plusieurs fois. Se poser la question de « Comment on compose une mélodie avec chacun nos lames sonores ». On compose collectivement, nous, avec les lames sonores. Puis on compose, en plus, avec le groupe des bouchons. Ça leur a fait travailler leur écoute individuelle, semi collective et collective. Il y a pleins de compétences qui sont venues se greffer sur ce support de Ondine de Ravel.
Quels sont tes projets pour les années à venir ?
Suzie – J’ai entrepris ma reconversion. Initialement, je voulais faire les deux métiers puis petit à petit je penche clairement sur la balance de la musique. C’était il y a deux ans. Mon stage dure trois ans, ma formation dure trois ans et après, qui vivra verra. Avec, j’avoue, un fort investissement de ma part et de celle des enseignants ici, et l’envie de pérenniser le travail qui se fait.
En plus, il doit y avoir un truc avec les portes ouvertes et tout, j’ai plus rencontré les parents. Parce que comme je fais mes séances le matin, je ne vois pas les parents, je n’ai pas les retours de ce qui se passe à la maison, alors qu’on a des billes dans ces situations là. Et là, j’ai eu des échos, je me suis dis « Tiens, l’information circule. ». L’année dernière j’étais plus en souterrain, j’avais l’impression de faire des séances et un spectacle plus intimiste. Je suis contente que cela finisse par rayonner, que les enfants entendent parler de ça et qu’ils aient envie. J’en vois qui se demandent « Les CM1, ils font de drôles de choses avec les balais. », ou quand on sort « Qu’est ce qui se passe, vous faîtes de la danse ? ». C’est bien aussi de nourrir un peu la curiosité autour de ce travail.
EUGÉNIA
Comment s’est organisée ta participation à ce projet musique ?
Eugénia – Suzie a reproposé de travailler avec deux classes à Decroly cette année. Simon a continué et m’a proposé de participer tout en sachant que les élèves avaient déjà travaillés avec Suzie l’année dernière. C’était en quelques sortes une continuation de leur travail. Par contre les élèves de CM1 sont différents de l’an passé.
Quel était le projet des CE1 avec Suzie cette année ?
Eugénia – Pour notre classe, Suzie a proposé comme thème annuel de son travail : « le voyage ». Le but était de faire des chansons qui soient en relation avec le thème musical du voyage. Elle nous a proposé une chanson française en début d’année qui s’appelle Mon bateau de papier, qui parle d’un enfant qui fait voyager un bateau etc. Sur cette chanson qui a été la première de l’année, sont venues se greffer par la suite d’autres chansons, cette fois-ci dans d’autres langues et apportées par les enfants. Suzie n’a pas pu prendre toutes les chansons proposées car il y a eu une très bonne réponse dans la classe.
Les chansons qui ont été retenues sont une chanson en basque, apportée par un petit garçon qui s’appelle Lorca, Frère Jacques en croate parce qu’on a deux petits garçons dont les parents sont croates, et également une berceuse en portugais proposée par Suzie. En dehors de ces chansons apprises selon les différentes séances, on a travaillé au niveau de la création du son. C’est à dire que Suzie apportait des petits instruments musicaux qu’elle avait fabriqué avec des boites de conserves et des ballons de baudruches. Les enfants les ont utilisés au départ pour les découvrir et créer des sons, puis pour animer un conte musical qui s’appelle Le petit chasseur de bruit. Suzie a lu cette histoire et on l’a mise en scène d’après les différents bruits qu’ont créés les groupes d’enfants.
Tout ce travail qui a été fait dans l’année est concrétisé le dernier jour d’école de l’année par un spectacle musical adressé aux parents et bien sûr à tous les copains de l’école Decroly.
Comment se déroulaient les séances ?
Eugénia – Suzie est intervenue dès le début de l’année, environs 45 minutes / une heure par semaine, tout en sachant qu’il y a plusieurs élèves qui sont français mais d’origines différentes dans la classe : croate, néerlandaise, italienne, maman d’origine portugaise… Il y a plusieurs nationalités qui sont représentées : les enfants sont très sensibles à ce fait là, ils connaissent bien leur pays d’origine.
Quel à été le rôle ce projet musical auprès des enfants ?
Eugénia – Pour ma classe, le travail fait par Suzie a été essentiellement d’accompagner les enfants sur l’apprentissage de chansons apportées par eux, ce qui a eu un impact affectif assez important au niveau de la classe puisqu’on savait qui les avait apportées etc. Même si certaines chansons comme celle en basque étaient un peu difficiles, les enfants ont fait l’effort de l’apprendre parce que ça les intéressait, que ça avait été apporté par un membre du groupe et qu’ils avaient envie de la connaître.
Elle a par ailleurs vraiment laissé la créativité des enfants se manifester lors du conte musical. Elle les a un peu dirigé en déterminant quels étaient les différents acteurs de l’histoire qu’ils devaient interpréter, mais c’était eux qui produisaient les sons à leur manière. Elle a beaucoup travaillé la mise en scène parce que c’est un spectacle : comment s’organiser sur la scène puis interpréter dans tel ordre etc. Mais, après, les enfants sont vraiment libres au niveau de la créativité.
SIMON
Quel est l’intérêt de la présence d’un dumiste à Decroly, selon toi ?
Simon – L’apport d’un dumiste est inestimable. Je suis musicien, sensible à ça, convaincu. Je n’ai aucun problème à chanter avec mes élèves. Je sais les faire travailler, je peux faire pleins de choses en musique avec les enfants : des percussions corporelles etc. Je fais partie des enseignants qui sont très libérés par rapport à ça mais, sans Suzie, je n’aurais pas obtenu le quart de ce qu’elle arrive à obtenir, elle. Tu es face à quelqu’un qui est dans un domaine d’expertise qui n’est pas le tien. C’est comme si je travaillais avec un architecte qui ferait toute l’année un travail d’architecture avec moi : j’y connais rien.
Suzie est architecte, c’est tout à fait à propos !
Simon – Oui ! Et c’est aussi reconnaitre que l’art a une puissance, une force que toi tu ne peux pas faire émerger en tant que prof dans le cadre de ton boulot. Tu le peux ponctuellement, mais obtenir un changement chez certains enfants, uniquement dans leur rapport à la musique, au chant et à leur corps, c’est vraiment du domaine de l’expertise des dumistes. Et, c’est fascinant ! En tant qu’instit’, tu regardes tes élèves et tu n’aurais pas parié cette évolution, sur leur capacité à se lâcher complètement, à interpréter de façon hyper forte certains trucs, certaines attitudes. C’est fou.
Comment réussir la synchronisation d’un apprentissage artistique avec les principes de Decroly ?
Simon – L’an dernier, on a aussi fait un spectacle. À la circulation, on a présenté des travaux artistiques – c’est propre à ma sensibilité – et ça s’imbrique parfaitement dans l’établissement. Tu peux sans aucun problème travailler sur « se défendre », travailler sur « le travail », « se nourrir »… En faisant de l’art plastique, en faisant du chant. Je défends ça depuis deux ans avec ma classe, en présentant un spectacle de fin d’année, des œuvres et on étant complètement dans le thème.
En partant de là, tu peux faire de l’histoire des arts, tu passes toutes ton année à faire de l’association : « Observation, Association, Expression ». Qui est ce peintre, dans quoi il s’inscrit, quelle est sa nourriture dans l’art, quelle place elle prend… Ensuite tu fais de l’histoire « La nourriture dans l’art, ah ! Mais s’il dessinait cette nourriture dans tel tableau, de quoi se nourrissaient les gens à telle époque ? ». Il y a tellement de choses à faire et l’art n’a aucune raison d’être à côté, d’être décroché de l’ensemble des autres matières.
Que penses-tu de la présence d’un dumiste à l’école ?
Simon – Quand je vois les séances avec Suzie, c’est juste magique. Si tu t’écoutais, tu interviendrais plein de fois sur les consignes de peur que ça ne passe pas, que ça ne soit pas assez clair. Mais par la qualité, la réflexion qu’elle a mené sur la progression de chaque séance et sur l’année, elle obtient des trucs d’une qualité invraisemblable : une implication des élèves, un investissement émotionnel et physique… C’est pourtant complexe. Les enfants sont tous très différents mais de tous on obtient des attitudes, des exigences et pour le coup, aucune autocensure. Au contraire.
Je suis complètement convaincu qu’il faudrait un dumiste à Decroly. D’abord en terme d’expertise, puis de cohérence. On a totalement fait rentrer ce projet dans le thème annuel de l’école. Tout ce qu’on a fait cette année : les chansons, les tableaux, le spectacle sont articulés et organisé autour du thème du travail. C’est hyper cohérent. Au début de l’année, j’ai dit à Suzie « On va travailler là-dessus » et elle a commencé à gamberger, à apporter pleins de trucs, on s’envoie des mails en ping-pong… Mais malgré tout, il faut que cette démarche soit volontaire, qu’on ne soit pas dans une posture de consommation.
Alors, quels enseignements les enfants peuvent tirer d’un tel projet ?
Simon – Par rapport au collectif, je crois que ce qui me bluffe à chaque fois, c’est comment ils font corps, comment tu as une équipe. Tu as pu travailler toute l’année là-dessus : « Faîtes attention les uns aux autres. », « Continuez de vous trompez pour montrer que l’erreur est importante et qu’elle fait réfléchir tout le monde. », « On travaille en groupe, l’apport de chacun est important. »… Ce discours, on l’a tout le temps : tout le monde ici. Mais il n’empêche, quand tu vois les élèves au spectacle, tu as une équipe face à toi du jour au lendemain. Alors que ça semblait compliqué une semaine plut tôt. Ils se regardent les uns les autres, tous hyper attentifs aux placements et d’un seul coup, ça s’harmonise de façon complètement fluide. C’est le moment le plus émouvant de l’année.
LE MOT DE LA FIN (ou du commencement)
Eugénia – C’est vrai que cette année, c’était vraiment bien parce que ce cadre musical était formalisé. C’est vraiment une très bonne chose pour les enfants et pour l’école en général. Par exemple, quand j’étais élève – je n’étais pas en France – en primaire, au collège et au lycée, on avait des professeurs de musique. On a toujours eu un cadre pour les interventions musicales. Ce qu’on n’a pas forcément en France au primaire. Je trouve ça un peu dommage parce que ça dépend après de chaque enseignant : est-ce qu’il est sensible au chant, à la musique en général, est ce qu’il le fait où il ne le fait pas ?
Suzie – C’est un peu ça le métier de musicien intervenant : un élément extérieur à l’école qui injecte ses compétences et sa créativité. Ce n’est pas un prof qui met sa casquette de musicien. Parce que les instits ont souvent une double casquette. Ils sont sportifs, musiciens, ils le transmettent mais nous, en tant que musiciens intervenants, on a l’avantage d’arriver avec notre brouette et de dire « Voilà, c’est mon bagage. ». On a un rapport totalement différent avec les enfants par ailleurs.
Simon – Tu veux que je te dise un truc marrant ? Ma mère était à Decroly en 47 et ils chantaient tous les matins. Tous les matins, toute l’école était dehors, et ils chantaient. C’est comme ça qu’ils commençaient la journée.